« CONTENT DE FINIR SUR UNE BELLE COPIE »
Ne rien lâcher, jusqu’au bout. Ce jeudi, au petit matin, à 10 miles de l’arrivée de la 3e et dernière étape de la Solitaire du Figaro Paprec à La Turballe, Jules Delpech (ORCOM) était encore en 12e position. Mais après un dernier coup tactique et surtout un dernier effort physique après une étape pourtant harassante c’est bien un Top 10 que le réunionnais est allé arracher pour une poignée de secondes. 3 jours, 15 heures, 56 minutes et 39 secondes « d’enfer », dans des conditions particulièrement musclées qui ont entraîné avec elles leur lot de mésaventures (des algues dans la quille, un gennaker récalcitrant ou encore un spi déchiré). Autant de péripéties que Jules a su surmonter pour aller chercher la 12e place au classement général final de cette 55e Solitaire du Figaro, 19 secondes devant son premier poursuivant ! Un souffle après plus de 10 jours passés en mer sur 3 étapes particulièrement intenses.
Au moment de s’élancer de Royan, dimanche dernier, les skippers de la Solitaire du Figaro Paprec savaient déjà qu’ils allaient être mangés à une sauce particulièrement épicée, avec des conditions météos annoncées qui leur promettaient un calvaire sur les 705 miles au programme jusqu’à La Turballe via les deux marques de parcours au sud de l’Angleterre. L’entrée a été particulièrement indigeste avec un jour et demi au près jusqu’à la pointe bretonne, dans du vent et une mer en mode « montagnes russes ». Sur cette première partie, Jules Delpech fait parler son tempérament d’attaquant, en prenant une belle option entre Belle-Île et la presqu’ile de Quiberon, pour se replacer aux avant-postes avant le sprint intermédiaire au large du Raz de Sein
Crédits photos : © Alexis Courcoux
Direction alors le sud de l’Angleterre pour les marins encore en lice, les conditions usantes ayant entraîné un certain nombre d’abandons. Les voiles s’ouvrent et les compteurs s’affolent.
« Toute cette descente vers l’Angleterre, c’était costaud et humide », raconte Jules.« Du vent et beaucoup de mer, on s’est pris des vagues pendant trois jours. Mais quand ça glisse et que ça « bombarde » le bateau vole avec des pointes de 21 nœuds et plus. C’était à la fois effrayant et beau, avec des nuages très bas… une ambiance très particulière. Je garderai longtemps en tête ces images de mer, parce que c’était vraiment impressionnant. A ce moment-là j’étais en tenue de combat, en bottes, ciré, top étanche, cagoule néoprène, le casque avec la visière, harnais, et attaché bien serré au bateau. Et je prenais tellement de paquets de mer que j’avais de l’eau qui s’infiltrait dans la partie haute du ciré, elle remontait jusqu’en haut, ça me faisait gonfler, et ça redescendait dans le ciré, rentrait dans les bottes et ça ressortait par le dessus des bottes. J’étais vraiment rempli d’eau de l’intérieur et ça a duré quand même une dizaine d’heures… ».
Forcément, les enjeux majeurs sur cette 3e et dernière étape de la Solitaire du Figaro n’incitent guère les marins à la retenue, même dans ces conditions extrêmes. A la limite et à des vitesses folles, la moindre embuche se paye cash, et Jules va en rencontrer quelques-unes lors de ce bord franco-britannique.
« Ça a commencé avec une grosse algue qui m’a fait perdre le contact avec la tête de course. Je n’arrivais pas à m’en défaire. Je faisais des marches arrière, je perdais 500 mètres et des places à chaque tentative. J’en ai enlevé un bout comme ça, puis le reste est parti tout seul finalement ».
Crédits photos : © Alexis Courcoux
Puis en plein milieu de La Manche c’est avec ses voiles d’avant que Jules va avoir d’autres ennuis.
« J’ai fait des tours avec mon gennaker qui s’était emmêlé avec la drisse de spi, je ne sais pas trop ce qui s’est passé. J’ai failli monter dans le mât, mais finalement j’ai réussi à le dérouler. J’ai fait du près avec mon gennaker, qui battait le long du mât pendant un petit moment. Et finalement, je l’ai renvoyé, redéroulé et tout s’est défait comme par magie. J’ai réenroulé, réaffalé, j’ai défait le tour dans la drisse de spi, et puis j’ai pu repartir avec mon petit spi après. Ça s’est plutôt bien goupillé, mais ça a été une vraie galère ».
A ce moment-là, Jules est encore solidement installé dans le top 8 de l’étape mais une nouvelle mésaventure va lui coûter beaucoup de terrain avant l’arrivée sur la première marque de parcours en Angleterre, au large de Weymouth.
« J’ai explosé mon petit spi. Ça ne m’était jamais arrivé avant ; d’ailleurs personne ne claque un petit spi en temps normal. Ils sont tellement costauds ces spis-là, et le mien a explosé en vol. Il y avait 35 nœuds bien tassés. Il était quasiment neuf, et au deuxième bord de son existence, il était mort »
Crédits photos : © Alexis Courcoux
Il lui reste plus de 50 miles à faire sur ce bord de portant avant de mettre la barre à gauche, à nouveau au près vers Skerries Bank, la deuxième marque « anglaise » du parcours.
« J’ai pensé : « Ça y est, c’est fini. Je vais prendre des heures et des heures de retard ». J’ai râlé cinq minutes, puis après, je me suis retroussé les manches. Je me suis dit : « Ça y est, c’est parti, on fait ce qu’il faut. » J’ai sorti le gennaker et j’ai essayé d’avancer au mieux en faisant des angles un peu plus hauts, mais en gardant la vitesse. Finalement, j’ai réussi à bien limiter la casse ».
C’est tout de même en 19e position que Jules entame son « retour » vers la France, au portant mais dans des conditions moins extrêmes qui lui permettent d’envoyer son grand spi et d’entamer une fantastique remontée jusqu’à l’arrivée.
« J’ai vraiment bien navigué sur la deuxième partie de l’étape. J’ai réussi à faire de belles trajectoires, à ne pas lâcher le morceau, et je me suis fait plaisir. Je suis super content du travail que j’ai fait, globalement, sur toute l’étape. J’ai l’impression d’avoir rendu une belle copie et c’est chouette de finir là-dessus ».
Dans les tous derniers miles Jules va même grapiller les 2 places qui le séparaient du Top 10 pour finir en beauté et aller finalement chercher la 12e place au classement général final de cette 55e Solitaire du Figaro, remportée pour la 3e fois de son histoire par un skipper étranger, l’Irlandais Tom Dolan.
Crédits photos : © Alexis Courcoux
Sur le ponton d’arrivée à La Turballe Jules était tout heureux d’apprendre la victoire de son partenaire d’entraînement, avec qui il avait pris, en double, la 2e place de la Fig’Armor il y a quelques semaines !
« J’ai failli pleurer de joie sur l’eau quand j’ai appris sa victoire. Il m’a toujours inspiré parce que comme lui, je me suis lancé dans le Figaro sans passer par une sélection, sans non plus venir de la voile olympique ou en ayant déjà un palmarès en course au large. Lui sort des « Glénans », il n’était pas forcément destiné à faire énormément de régates et il s’est quand même lancé dedans, en passant par le Mini 6.50. Je pense que quand j’ai décidé de lancer mon projet ça a été une des figures qui m’a permis d’avoir confiance en moi. J’ai repensé à ça quand il a gagné, et ça m’a fait plaisir. »
Crédits photos : © Alexis Courcoux
Pour Jules, cette 4e Solitaire du Figaro aura été riche en enseignements.
« Je me sentais vraiment prêt pour cette Solitaire-là et finalement j’ai encore beaucoup appris. Ça m’a un peu surpris. Mais c’est chouette, au moins je ne me fais pas mal pour rien, je continue à apprendre sur moi-même et puis à progresser. Cette course c’est vraiment une aventure avec un grand A, et je suis content d’en faire partie. C’est un peu ça la vie, c’est de passer par des phases difficiles qui nous font apprécier les phases plus sympas. La Solitaire, c’est ça, mais en décuplé. On a eu vraiment des phases très difficiles et donc les phases de plaisir sont vraiment très agréables. Est-ce que c’est ça qui en rend heureux ? Peut-être (rires) ! ».
Crédits photos : © Alexis Courcoux
Revivre la course de Jules
- La Cartographie : https://lasolitaire.geovoile.com/2024/tracker/
- Plus d’infos sur la Solitaire du Figaro : https://www.lasolitaire.com/