Depuis quelques années, les situations conflictuelles entre les plateformes électroniques de mise en relation et les coursiers ne cessent d’accroitre en matière de droit du travail. Qui n’a pas déjà entendu parler des plateformes telles que DELIVEROO, UBER ou encore JUST EAT ? Longtemps, la jurisprudence s’est intéressée à la qualification qui devait être retenue concernant les travailleurs de ces plateformes : sont-ils indépendants ou salariés ? doivent-ils rendre des compte ? Le point avec Flora Gaudin, juriste en droit social ORCOM.
[ORCOM] Quel statut a été retenu par la jurisprudence pour qualifier les travailleurs des plateformes de mise en relation ?
[Flora Gaudin] Encore aujourd’hui la catégorisation de ces travailleurs demeure indéterminée.
Par principe, les travailleurs en relation avec une plateforme exercent leur activité de manière indépendante, ils sont donc travailleurs indépendants. Toutefois, la jurisprudence requalifie fréquemment cette relation en contrat de travail.
Pour requalifier la relation comme étant une relation employeur/salarié, le juge analyse un faisceau d’indices et notamment les trois critères qui constituent un contrat de travail : l’exécution d’une prestation de travail, la perception d’une rémunération et l’existence d’un lien de subordination.
[ORCOM] Avez-vous un exemple pour illustrer votre propos ?
[Flora Gaudin] La Cour de Cassation a jugé dans un arrêt du 28 Novembre 2018 qu’un coursier était lié par un contrat de travail dès lors que l’existence d’un lien de subordination était établie. En effet, dans le cas concret, l’application par laquelle le coursier était mis en relation était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la plateforme de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par ce dernier. De plus, la Cour de Cassation a reconnu que la plateforme disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, pouvoir caractérisant le contrat de travail.
[ORCOM] Quelles sont les obligations inhérentes aux plateformes en la matière ?
[Flora Gaudin] La Loi n° 2019-1428 du 24 Décembre 2019 vient fixer une nouvelle obligation pour les plateformes électroniques de mise en relation. Elles seront dans l’obligation, à compter du 1er Mars 2022 de publier de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée d’activité et au revenu d’activité de leurs travailleurs. Un décret du 22 Avril 2021 précise le contenu et les modalités de diffusion de ces indicateurs. Ont été retenus les indicateurs suivants :
- La durée moyenne d’une prestation,
- Le revenu moyen d’activité par prestation,
- Le temps d’attente moyen avant de recevoir une proposition de prestation,
- La durée moyenne hebdomadaire des prestations cumulées réalisées par travailleur en fonction du volume de prestations effectuées,
- Le revenu moyen d’activité hebdomadaire réalisé par travailleur en fonction du volume de prestations effectuées,
- La durée moyenne mensuelle des prestations cumulées réalisées par travailleur en fonction du volume de prestations effectuées,
- Le revenu moyen d’activité mensuel par travailleur en fonction du volume de prestations effectuées.
Ces indicateurs sont calculés à partir des données de l’année civile qui précède leur année de publication.
Le décret développe par ailleurs les notions de « durée de prestation » ou encore de « temps d’attente avant de recevoir une proposition de prestation ».
[ORCOM] Quelles sont les modalités de publication de ces indicateurs ?
[Flora Gaudin] Ces indicateurs doivent être publiés par les plateformes sur leur site internet le 1er Mars de chaque année et devront être présentés selon un modèle fixé par arrêté.
Les plateformes auront aussi l’obligation de conserver tous les documents relatifs aux modalités de calcul de ces indicateurs pendant une durée de trois ans suivant l’année civile au cours de laquelle ils ont été établis.
[ORCOM] Quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect de cette publication ?
[Flora Gaudin] Une contravention de première classe (38 euros) peut être allouée aux plateformes électroniques pour le fait de ne pas avoir satisfait aux obligations de publication des indicateurs. L’amende est due pour chaque travailleur auquel il est proposé une ou plusieurs prestations.
[ORCOM] Quels pourraient être les principaux changements à venir concernant ces plateformes de mise en relation ?
[Flora Gaudin] Le gouvernement étudie la question de la mise en place de représentants des travailleurs des plateformes. L’idée serait de procéder à une élection nationale afin de permettre aux travailleurs de désigner les organisations qui pourraient les représenter pour défendre leurs droits. Toute organisation qui recueillerait au moins 5 % des suffrages exprimés pourront être reconnues représentatives lors du 1er scrutin. Lors du 2nd scrutin, ce seuil passerait à 8 %. Cette élection se calquerait sur la procédure de mise en place du comité social et économique, institution représentative des salariés du droit privé.
Par ailleurs, contrairement à la France, l’Espagne a récemment reconnue aux livreurs des plateformes de mise en relation telles que Deliveroo et UberEats, une présomption de salariat. Au même titre, le Royaume-Uni avait déjà reconnu dernièrement la qualité de salarié aux chauffeurs VTC.
Par conséquent, nous devons peut-être nous attendre à une refonte du statut de ces travailleurs en France, avec, pourquoi pas, une bascule vers le statut de salarié…